Quelques mois plus tôt - Janvier de l'an 204

Difficile d'estimer pour Valentine à quel moment elle a réellement commencé à s'impliquer dans la politique de l'état, cela remonte probablement à l'époque où on lui a imposé le mariage qu'elle a refusé, avant le décès de ses parents. Toujours est-il qu'à l'heure actuelle, avec les changements récents au gouvernement et les nouvelles alliances se forgeant, elle ne pouvait pas tenir en place et participait à toutes les soirées, réceptions, bals et rassemblements organisés pour la Cour afin de discuter avec tous les partis et se faire une meilleure idée des concessions en cours.

Ce soir-là, vêtue d'une belle robe violette aux volants époustouflants mais partiellement sobre tout de même, un divin mélange d'opulence et de grâce simple, elle déambule dans le grand hall du palais où de nombreux invités qu'elle connait sont déjà de la partie. Elle salue les nobles avec qui elle possède des affinités, se laisse courtiser par quelques gens et accepte les baisemains raffinés qu'on lui offre, avant que finalement un visage en particulier n'attire son attention.

La jeune - du moins en apparence - femme qui lui a tapé dans l'œil n'est autre que Madame Báthory tout fraîchement nommée au Conseil du roi, prenant ainsi la place d'un ancien vampire au gouvernement. Une alliée de choix s'il en est, aussi elle ne tarde pas à se hisser à sa hauteur et à venir la saluer lorsqu'elle a terminé sa discussion en cours, ne voulant pas s'imposer non plus de façon malpolie.

« Madame Báthory, enchantée, je suis Madame Byron membre de la Cour. Je me permets de venir vous saluer et vous féliciter pour votre récente accession au Conseil. »

Elle se courbe élégamment, tenant le volant de son jupon d'une main, pour la saluer en bon et due forme. Son regard est droit et fier, aucun sourire hypocrite n'illumine son visage, seulement un semblant de sympathie qu'elle accorde aux gens avec qui elle fait la conversation.

Le sourire que lui offre la vampire a l'air aimable et sincère, en tout cas tout ce qu'il faut pour disposer correctement dans une réception telle que celle-ci. Elle se saisit du verre qui lui est tendu et hoche la tête au fait de trinquer, levant à son tour le calice de vin pour honorer son interlocutrice. Elle ne ressent pas de jalousie à l'égard des membres du Conseil ; elle y voit de potentiels alliés pour son ascension vers le trône. Mais bien évidemment, elle se garde de l'affirmer sur tous les toits. S'il y'a bien une place qu'elle convoite, c'est celle du roi. Pas celle de la reine ; servir de faire valoir devant le peuple ne l'intéresse pas. Ce qu'elle voudrait, c'est obtenir la régence du royaume pour le mener vers quelque chose de plus grand et apporter une paix durable.

Mais pour l'instant, le roi est encore jeune et plein de vie, aucune opportunité de prendre sa place ne semble se dresser sur son chemin. Et ce n'est pas elle qui la provoquera ; elle refuse de monter sur le trône suite à un coup d'état ou un assassinat. Cependant, si un jour la place devait se libérer, il est important qu'elle ait l'appui du Conseil du roi pour prétendre au trône à l'insu de tous les autres qui souhaiteraient s'y hisser.

Faire partie du gouvernement l'intéresse grandement, mais elle préfère encore rester en retrait quelques temps jusqu'à ce qu'une belle occasion se présente. Opportuniste mais pas forçeuse, elle guette patiemment son tour. De plus, le climat politique actuel avec les complots qui se trament et les choses que doivent cacher le gouvernement ne lui donnent pas vraiment envie de s'immiscer dès maintenant dans le Conseil du roi.

« Oui, je vais vous accompagner fumer dans les jardins. »

Répond-elle à son interlocutrice avec un léger sourire aimable et tenant le jupon de sa robe imposante pour marcher convenablement jusqu'à l'extérieur. Dépassant le hall en compagnie d'Anastasia pour s'enfoncer vers la cour intérieure, elle prend le temps d'observer les jardins qui sont peu fleuris en cette saison mais où le givre léger du début de soirée laisse un voile blanc et reposant sur toute la végétation d'hiver. Elle remet correctement son châle sur ses épaules pour ne pas prendre froid et attend que sa compagnie de la soirée ait allumé sa pipe pour poursuivre.

« Vous devez avoir une bonne influence auprès du gouvernement pour que le conseiller qui vous a laissé sa place vous ai suggéré pour le remplacer. »

Sans prendre davantage le temps de tourner autour du pot, la voilà qui se lancer dans le vif du sujet qui l'intéresse. Si elle a pour projet de se faire des alliés dans ce monde politique, ce n'est certainement pas en leur cirant les pompes qu'elle compte y parvenir. Elle préfère au contraire montrer son aplomb, faire preuve d'esprit et captiver son auditoire avec assurance. Néanmoins, une flatterie n'est jamais de trop non plus.

« J'admire les femmes qui ont du caractère, et je suis certaine que vous en avez pour être arrivée aussi loin. »

D'autant que ce n'est pas un mensonge.

La vampire déploie un argument concernant ses antécédents, chose que Valentine ignore mais qui lui restera dans un coin de l'esprit pour poser la question plus tard, lorsqu'un plus grand climat de confiance se sera installé entre elles. Comtesse tout comme elle, ce grade lui avait visiblement permis d'étendre sa renommée jusqu'à la capitale. La fumée de la pipe arriva jusqu'au nez de la jeune femme qui fronça un instant les narines mais qui s'habitua bien vite à l'odeur que le froid faisait rapidement disparaitre.

« C'est important pour une femme de savoir être reconnue à sa juste valeur et non pas seulement comme un faire valoir. L'idée que vous ayez dirigé votre domaine pendant si longtemps est impressionnante. »

Une manière détournée de lui demander comment elle était parvenue à instaurer son règne de comtesse pendant si longtemps sans qu'un homme ne vienne y mettre les pieds. D'un autre côté, le machisme est surtout présent chez les humains et dans la famille royale, car les lycans sont bien loin de cette mentalité ayant un ancêtre originel féminin. Les vampires quant à eux... c'était une histoire plus compliquée. Le machisme est présent sans vraiment l'être, les femmes ont pourtant toujours plus de mal à s'imposer même si la popularité générale veut que l'égalité soit prônée.

« Vous avez beaucoup d'enfants ? »

Questionne-t-elle avec un intérêt certain, elle-même ayant toujours refusé de posséder une descendance. Sujet qui pourrait être amené à changer si un jour elle était sur le trône, mais pas forcément dans le sens où les passation de pouvoirs d'héritier en héritier sont pour elle un concept dépassé.

Son regard se met à détailler discrètement la vampire lui faisant face. Ses canines saillantes, ses beaux cheveux aux couleurs de la nuit, son teint pâle et sa grâce naturelle en font une femme qui ne doit avoir aucun mal à trouver des prétendants. Valentine sait apprécier la beauté chez les autres demoiselles, même si son intérêt se porte davantage sur la gente masculine. Les belles choses ne sont pas réservées à une orientation en particulier, on peut tout à fait apprécier la magnificence d'une personne sans pour autant être attiré sérieusement.

Reportant son attention sur la discussion, elle boit une gorgée de son vin tout en dissimulant un frisson alors qu'une légère brise froide passe sous sa capeline.

La réponse de la vampire lui tire un regard de surprise alors qu'elle s'attendait à un simple énoncé de sa descendance. Finalement, un léger rire accompagna celui de son interlocutrice tandis qu'elle chercher comment formuler la suite de sa réponse. Concevoir des héritiers n'avait jamais fait partie de ses prérogatives, d'une part car le simple fait de devoir trouver un mari ne l'enchantait guère, mais aussi car l'idée de mettre au monde et de s'occuper d'une progéniture encombrante - comme l'avait si bien dit Anastasia - ne l'intéressait pas. Elle n'avait jamais estimé que cela lui porterait faveur dans l'idée de prendre un jour le trône si une telle occasion venait à se présenter. Si tel était le cas, si son désir devenait réalité, elle aurait meilleur compte de choisir comme héritier une personne de confiance et déjà formée plutôt qu'un de ses hypothétiques enfants.

« Je dois avouer que je suis entièrement d'accord avec vous mais que je ne m'attendais pas à une telle franchise. »

Son rire se dissipe mais un sourire reste figé sur son visage alors qu'elle poursuit.

« C'est rafraîchissant de discuter avec vous. »

Peu de gens à la Cour font preuve d'autant de franchise, et voilà quelque chose qui plait beaucoup à Valentine, surtout venant d'une femme d'aussi haute lignée. Elle reporte son regard sur le paysage des jardins quelques instants, un peu pensive, puis reprend sur sa question initiale.

« J'aurais peut-être l'occasion de rencontrer votre Katalina d'ici peu alors. »

Mais le froid trop persistant vient couper court à la discussion alors que la vampire lui propose de rentrer pour qu'elle puisse se réchauffer. Elle hoche la tête à cette suggestion, reprenant la direction du corridor puis du hall principal où elle termine son verre aux côtés d'Anastasia avant de reposer le calice vide sur une table et de se saisir d'un nouveau verre rempli de vin. Résistante à l'alcool, elle connaît néanmoins ses limites et sait que ce verre-là sera le dernier pour elle si elle ne souhaite pas tomber dans l'ivresse complète. Une légère chaleur due à l'alcool lui suffit amplement, surtout dans une réception comme celle-ci.

Un léger sourire se forme sur ses lèvres à la question de la vampire, alors qu'elle avale une nouvelle gorgée de vin qui l'aide à se réchauffer rapidement - même si elle n'a pas encore retiré son châle. La pensée de Ghost la rend toujours heureuse, son animal est si important pour elle que l'idée d'en parler est toujours agréable.

« Et bien je dois avouer, même si cela paraît un peu trivial, que j'accorde une grande partie de mon temps libre à mon chien. Considérons cela comme une passion. »

Un petit rire gêné la secoue cependant alors qu'elle se demande si elle ne risque pas de passer pour une idiote en disant cela. Mais c'est la vérité ; son chien fait partie des choses qui comblent sa vie et qu'elle hisse aisément au rang de passion. Néanmoins, elle se doute que la question de son interlocutrice visait à connaître ses passions plus théoriques, aussi elle enchaîne ;

« J'aime également la lecture et l'écriture, mais je passe le plus clair de mon temps à m'intéresser à la politique du royaume et à participer aux événements et autres rassemblements de la Cour. Vous savez comme moi que cela consomme déjà beaucoup d'heures dans la semaine... »

Elle boit une énième gorgée de son vin dont la coupe est déjà à moitié vide et repose ses yeux dans ceux d'Anastasia pour lui demander, femme d'un certain âge qu'elle est, tout ce qu'elle a pu aimer faire au cours de sa longue existence.

« Et vous alors, à quoi occupez vous vos temps libre ? »

Son regard se balade un instant sur l'assemblée bien bruyante de cette réception au palais, entre les discussions qui vont bon train et les rires de certains invités qui attirent l'attention sur eux. Certains font les beaux, certains gloussent ; c'est un véritable cirque dans lequel il est aisé de remarquer ceux qui souhaitent qu'on les regarde et ceux qui sont là pour des raisons plus subtiles. Mais elle ne s'attarde pas trop longtemps sur l'extérieure de sa bulle et revient dans l'instant présent pour accorder son attention à la réponse de la vampire. Elle est curieuse, dans une vie aussi longue, de savoir toutes les choses qu'elle a pu apprendre et auxquelles elle a pu consacrer du temps.

Valentine hoche la tête à la réflexion de son interlocutrice. L'idée même de passer du temps avec son chien lui semble digne d'être hissée au rang de passion, plutôt qu'un modeste passe temps insignifiant. Le chérir est une évidence ; il a tout le luxe et le confort dont pourrait rêver un animal, les traitements qu'il reçoit sont exemplaires tout comme son éducation.

Tout en buvant une énième gorgée de vin amenant tout doucement à la fin de son verre, elle se prend d'intérêt pour le récit de son interlocutrice. Cette femme de haute lignée possède des intérêts tout à fait admirables et son discours sur la connaissance résonne en elle également. Elle est entièrement d'accord avec ses propos ; l'éducation et la passassion de savoir sont des choses primordiales en ce monde. C'est d'ailleurs un point qu'elle jugerait bon d'améliorer dans le royaume, si elle était aux commandes, de donner un meilleur accès à l'éduction à l'entièreté du peuple. Non pas que le gouvernement d'Alestya soit avare sur ses connaissances, mais la pauvreté engendre bien souvent un manque de culture et d'acquisition de savoir.

« Vous avez entièrement raison ; les connaissances sont nécessaire pour un bon épanouissement et je trouve cela admirable que vous ayez transmis de si belles passions à votre descendance. C'est le plus beau cadeau que vous pouviez leur faire. »

Elle achève de vider sa coupe de vin qu'elle vient déposer sur une table d'appoint pour que les servants puissent la ramasser plus tard et se retourne vers la vampire avec un léger sourire sincère.

« Vous êtes impressionnante, madame. Je serais enchantée de vous entendre jouer de la musique à l'occasion. D'ailleurs, quel est votre instrument de prédilection ? »

La musique est quelque chose d'important aussi pour Valentine, bien qu'elle n'ait jamais eu le temps d'apprendre à en jouer. Mais écouter le son mélodieux qui sort d'un orgue ou d'un violon, d'une flûte traversière ou d'un piano sont des choses qui l'apaisent autant qu'elles la fascine. Elle a beaucoup d'admiration pour les gens de l'art, elle même n'ayant pas eu l'occasion d'apprendre et de pratiquer ces disciplines, mais jugeant nécessaire que d'autres puissent partager leur créations qu'elles soient audibles ou visuelles. L'art fait partie des choses précieuses de ce monde, qui enrichissent les esprit à bien des niveaux.

L'aveu de la vampire la prend de court ; comment réagir face à une telle révélation, sans laisser voir une once de méfiance ou de dégoût pour la situation ? Valentine a beau être prompte à accorder des secondes chances, l'aisance avec laquelle madame Báthory lui parle de ses crimes passés, en les excluant de la catégorie de la délinquance, la laisse sans voix pendant un instant. Certes son discours est vrai ; le manque d'éducation conduit souvent à des comportements peu acceptables dans notre monde. Mais qu'entend-t-elle par tuer en connaissance de cause ? Cherche-t-elle à justifier des horreurs commises par le passé ?

« J'imagine que vous avez du remord pour vos victimes. »

Siffle-t-elle avec un ton un peu plus froid que précédemment, ne parvenant pas à masquer son émotion vis à vis de la situation. Le sujet de la musique est bien loin derrière ; pour elle, c'est désormais plus important de savoir ce qu'elle a fait dans son passé et ce qui l'a fait changer d'avis. Tout de même, une femme de la Cour, vampire ou lycan, ne devrait pas posséder de si noirs secrets surtout avec une place d'importance au Conseil...

« Je m'excuse, je ne sais comment réagir véritablement à cette information. »

Pourtant, elle n'a pas vraiment peur de la femme qui se tient face à elle. Un calme certain émane de sa personne et elle se doute que la vampire ne va pas se jeter sur elle en pleine assemblée pour lui déchirer la gorge. Du moins, elle compte sur son instinct qui ne lui dit pas de fuir à cet instant.

« Si je puis me permettre... »

Elle se pince la lèvre, cherchant la suite de sa phrase.

« Dans quelles circonstances avez vous eu besoin de tuer ? »

Sa voix est plus basse, même si personne ne s'intéresse vraiment à leur conversation, elle ne souhaite pas être entendue par des oreilles indiscrètes.

Sans un mot, Valentine laisse son interlocutrice s'exprimer, ou plutôt trouver une excuse valable à son comportement criminel. Elle tente de masquer son air de dégoût ; mais voilà une raison de plus pour elle de vouloir prendre la place du roi et faire un tri dans les membres de la Cour. Comment une ancienne criminelle a-t-elle des droits de vote aux conseils et une voix à porter à la place du peuple ?

Du remord maintenant ? Quelle vaste plaisanterie. Son visage reste fermé mais c'est avec peine qu'elle retient le rictus mauvais qui menace d'apparaître sur ses lèvres. Heureusement qu'elle sait se tenir en société, sinon elle aurait probablement fait scandale sur place. Elle y voit une certaine hypocrisie ; parler d'éducation et de délinquance quand on a ôté des vies...

« Je vous prie de m'excuser, je dois prendre congé. »

S'en est trop pour Valentine qui sent que le venin s'apprête à quitter ses lèvres pour s'abattre sur la vampire qui lui fait face. Mais elle veut éviter une scène, ce serait mauvais pour sa réputation. Pour elle, il n'y a pas de distinction de race ; tout le monde doit se tenir tranquille et le crime n'a pas sa place en ce royaume. Cette discussion aura au moins eu le mérite de lui rappeler qu'elle doit se battre fermement pour gagner sa place au gouvernement et un jour peut-être prendre la place du roi...

En attendant, elle salue poliment son interlocutrice d'une courte révérence et s'éloigne pour entamer la discussion avec un autre membre du conseil qui l'interpelle.